La détention de l’immobilier d’investissement de manière optimisée est la problématique principale des investisseurs privés.
Afin d’y répondre, les conseils en gestion de patrimoine ont développé de nombreuses stratégies, telle que, par exemple, la cession temporaire d’usufruit des parts de société immobilière.
Cette dernière a longtemps fait ses preuves en permettant aux investisseurs de bénéficier des avantages de l’IS pendant la période de détention de l’immeuble et du régime des plus-values immobilières des particuliers au moment de la cession.
Toutefois, depuis quelques années, les praticiens sont plus réservés sur cette stratégie compte tenu, notamment, des nombreuses décisions de remise en cause par l’Administration sur le fondement de la théorie de l’abus de droit fiscal (CADF/AC n°9-2/2019) et des difficultés pratiques d’évaluation des droits démembrés.
Dans ce contexte, la recherche des avantages de l’IS, combinés à ceux de l’lR, nous invite à nous intéresser à un véhicule d’investissement singulier : la Société en Commandite Simple ou SCS.
Les origines de la SCS remontent au moyen âge, sous la forme de l’ancien contrat de commande maritime. En substance, le contrat était conclu entre un seigneur qui finançait le projet d’expédition en fournissant le navire, les marchandises ou les fonds et un capitaine qui lui, dirigeait l’opération. Cette relation contractuelle était déjà marquée par une répartition inégalitaire des rôles et des risques entre lesdits intervenants : alors que l’investisseur risquait uniquement la perte de sa mise, le capitaine risquait jusqu’à sa vie et celle de son équipage. Cette répartition distincte des risques entre les associés est devenue l’essence même des sociétés en commandite.
En effet, dans le cadre de la forme moderne de la SCS, il convient de distinguer deux catégories d’associés :
» D’une part, les associés commandités qui ont obligatoirement le statut de commerçants et, sauf exception, la qualité de gérant. Ils peuvent, dès lors, effectuer tous les actes de gestion nécessaires à la réalisation l’objet social et ont seuls le pouvoir d’engager la société auprès des tiers. Les commandités
sont indéfiniment et solidairement responsables des dettes sociales.
» D’autre part, les associés commanditaires, non commerçants, ayant un simple rôle d’investisseurs financiers. Ils n’ont, en revanche, aucun pouvoir/ devoir de gestion. Les commanditaires ont une responsabilité limitée au montant de leurs apports.
La singularité de la SCS est également liée à son régime fiscal de nature “hybride”. En effet, la SCS est soumise à l’IS à raison de la part de ses résultats correspondant aux droits des commanditaires et, sauf option particulière, non passible de cet impôt à raison de la part des commandités. Concernant ces derniers, les résultats de la SCS sont imposés selon les règles classiques de la translucidité fiscale.
Ainsi, ils sont imposés à l’IR si le commandité est une personne physique. Cette hybridité, conjuguée à la répartition inégalitaire des risques des deux catégories d’associés, font de la SCS un formidable outil de structuration des patrimoines immobiliers, qu’il s’agisse de l’immobilier patrimonial d’investissement ou de l’immobilier professionnel.
Ainsi, par le jeu d’une rédaction subtile de statuts de la SCS, les investisseurs / chefs d’entreprise pourront ainsi bénéficier des avantages cumulés de l’IS (déduction des frais d’acquisition, amortissements…) et de l‘IR (abattements pour durée de détention des PV immobilières des particuliers). En pratique, ce résultat sera obtenu par l’insertion d’une clause de répartition inégalitaire dans les statuts, et ce en cohérence avec l’esprit de la SCS et dans la limite des pratiques autorisées (i.e. limite des clauses léonines prohibées). Dans ce contexte, il semble justifié de prévoir une répartition des résultats déconnectée de la seule détention du capital social et à l’inverse, de prévoir une répartition proportionnelle au rôle et risques pris par chacun des associés. Cette clause de répartition statutaire permettra de conférer aux commandités un avantage sur le produit de cession des biens immobiliers, et ce, en contrepartie du risque pris sur leur patrimoine et en récompense à la bonne gestion du bien pendant la durée d’exploitation.
En pratique, l’utilisation de la SCS va se décliner en deux stratégies patrimoniales :
» La SCS comme outil d’acquisition – ou de refinancement – de l’immobilier professionnel. En plaçant la société opérationnelle (ou la holding animatrice de groupe) en qualité de commanditaire et le dirigeant et/ou ses enfants majeurs en qualité de commandité(s), l’opération permet de retirer tous les avantages de la stratégie habituelle de cession d’usufruit temporaire (CUT) sans les inconvénients liés aux risques de remise en cause par l’Administration fiscale.
» La SCS comme outil de transmission. Dans ce contexte, les parents, directement ou au travers de leurs société holding patrimoniale, auront le rôle de commanditaires et les enfants, majeurs nécessairement, en contrepartie de la charge de gestion de l’étendue de leur responsabilité, bénéficieront, in fine, d’un transfert de valeur de l’actif sans avoir eu à bénéficier d’une donation du patrimoine des parents et donc, à supporter le coût des droits de donation.
En définitive, l’insertion d’une clause de répartition des résultats est la clé de voûte de cet outil patrimonial puisqu’elle permet non seulement de réduire les impacts fiscaux liés à l’exploitation (IS) et à la cession des éléments immobiliers du patrimoine nouvellement structuré (IR) mais également de le transmettre naturellement lors de la cession de l’immeuble.
Les schémas patrimoniaux décrits ci-avants sont évolutifs permettant d’envisager des opérations de cession en chaîne afin de transmettre un bien immobilier sur plusieurs générations et à chaque fois, de développer le patrimoine privé en réalisant des opérations de cash out.
Il n’existe à ce jour aucune prise de position officielle de l’Administration fiscale sur ces stratégies et donc, aucun recul sur l’interprétation des avantages retirés. Pour autant, le schéma proposé semble en conformité avec l’esprit du législateur qui a institué la SCS. Par ailleurs, les stratégies ne supposent aucune succession d’actes positifs (cession/donation) pour réaliser les objectifs du client contrairement à d’autres stratégies patrimoniales.
Néanmoins, l’utilisation de la SCS nécessite selon nous un accompagnement par un professionnel averti qui maîtrise parfaitement les contours de cet outil singulier et complexe et ce, afin d’intervenir à tous les stades de mise en œuvre de la stratégie : rédaction des statuts, présentation du dossier aux établissements bancaires, rédaction d’une note de confort sur le schéma, tenue extra-comptable du tableau de trésorerie à affecter aux commandités / commanditaires, etc.
Mélanie Collu • Directrice de l’ingénierie patrimoniale Expert & Finance